Carl de Nys
1917-1996


"Le départ de notre monde de l'Abbé Carl de Nys est une perte irréparable pour notre monde de la musique. L'immense culture de ce musicologue et critique, son exemplaire objectivité au-dessus de toute mode et de tout sectarisme, faisaient de lui une autorité morale, musicale et spirituelle infiniment précieuse. Ses nombreux écrits, qu'il faut souhaiter rassemblés, préserveront sa mémoire et enrichiront tous ceux qui y auront accès. Que cet espoir adoucisse notre peine."

Marcel Landowski
Chancelier de l'Institut de France
(Programme de l'édition 1996 du festival "Saoû chante Mozart", p.88)


"Avec la disparition au printemps 1996 de Carl de Nys, la musicologie, mais surtout la musique, les artistes, le journalisme ont perdu une personnalité de premier plan.
Curieux chemins de la destinée ! Carl de Nys, né à Eupen, dans la partie germanophone de la Belgique, aurait fort bien pu poursuivre une tout autre carrière. Issu d'une excellente famille dans laquelle bi-linguisme, variété des cultures, humanismes allaient de soi, rien de particulier ne le destinait à la musique et à l'Église, en France. C'est la guerre et l'exode de 1940, qui le menèrent dans les Vosges, où ce rejeton d'un monde aprticulièrement menacé par les nazis jugea bon de demeurer. Monseigneur Blanchet, alors évêque de Saint-Dié, l'accueillit au séminaire. Carl de Nys devait y faire d'excellentes études ; il s'intéressait à la philosophie, à la théologie, tout en suivant des cours d'allemand à la faculté des lettres de Nancy. Carl de Nys remarquait-il que pouvait s'ouvrir pour lui le chemin des dignités de l'Église ? En tout cas c'est une émission de radio allemande qui bouleversa tout, ainsi qu'il l'a parfois raconté. Un soir d'automne 1942 on retransmettait en direct de Munich, la création de Capriccio, le dernier opéra écrit par Richard Strauss. Carl de Nys, jusque-là uniquement occupé de musique d'église, de chant grégorien, sentit son cœur frémir ; il écouta, dans sa chambre de Saint-Joseph d'Épinal, cette production de prestige, dont la diffusion n'était pourtant pas innocente. Il se dit que là aussi parlait l'absolu, qu'il serait bien de concilier cette beauté avec la transcendance de la foi.
Pourtant la musicologie n'était pas encore exactement à l'ordre du jour. À la fin de la guerre, Carl de Nys fit, en Suisse, la rencontre du pianiste Edwin Fischer. Mais c'est encore Monseigneur Blanchet, promu recteur de l'Institut catholique de Paris, qui expliqua à Carl de Nys qu'il y avait là une direction à exploiter : servir la foi et la musique par la musicologie. Désormais, Carl de Nys, sans jamais renier rien de sa vocation sacerdotale, allait se vouer à ce qui, dans la musique, s'explique par la permanence d'une culture chrétienne, ou la perception réelle de la transcendance ; Carl de Nys entendait y aider comme journaliste, comme producteur de disques, et puis surtout en exprimant comme conférencier, comme auteur, comme animateur du Centre Culturel de Valprivas, le charme qu'il y a à croire fortement à un engagement désintéressé.
Carl de Nys, c'est l'Encyclopédie de la musique dans la célèbre Bibliothèque de la Pléiade, mais ce sont aussi ces collections exceptionnelles, ces disques rares produits avec André Charlin : les Discophiles de France, Les Archives sonores de la musique sacrée, Musica Rare chez Koch-Scwan à Düsseldorf, enfin ce sont tant de critiques dans Diapason, La Croix, tant de présentations de concerts surtout à Aix-en-Provence ou à Salzbourg.
On est tenté de dire que Mozart était son objet principal. Car c'est à Carl de Nys que Roland-Manuel confiait ce chapitre dans l'Encyclopédie de la musique. [...] On mentionne, d'une part, les enregistrements qu'il produisit de la musique d'église de Mozart [...], d'autre part les contributions remarquées aux colloques de Guy Mollat du Jourdain et Jacques Chailley à l'occasion du bi-centenaire de la naissance de Mozart : Les Influences étrangères dans l'œuvre de Mozart (Paris, 1958), et à celui organisé par Francis Claudon à Dijon pour le bi-centenaire de sa mort : Itinéraires mozartiens en Bourgogne (Paris, 1992). [...] Carl de Nys avait aussi rédigé les chapitres consacrés à la musique instrumentale de Bach, ainsi qu'aux fils du cantor de Leipzig. On comprend mieux également son amour pour le milieu, le temps, la géographie de l'Empfindsamkeit, pour Prague, Mannheim. et par ce biais sont venues des réhabilitations véritablement audacieuses. En effet, Carl de Nys n'a pas craint de vanter la musique de E.T.A. Hoffmann qu'il tenait pour un des génies les plus complexes de la sensibilité européenne occidentale, ou de Georges Onslow, écossais et auvergnat à la fois, dont cinq disques de musique de chambre ont ressuscité la qualité très rare. (Onslow était anglais et non écossais bien entendu ; quant aux disques, ils sont au nombre de dix : cf. Discographie. N.D.L.R.).
Le hasard veut que Carl de Nys ait prononcé sa dernière conférence publique à Nancy, devant les étudiants de l'Institut de musicologie de l'Université de Nancy 2, le 16 février 1996 ; sur la musique religieuse de Mozart.
L'entreprise s'arrête, ou du moins elle devrait se réorienter, précisément autour du Centre culturel de Valprivas. Car il y a là, une direction d'étude qui mériterait d'être poursuivie, un patrimoine scientifique aussi, et tout simplement un esprit qu'il convient de révérer."

Article paru dans l'Encyclopédie de la musique en Lorraine par Guy Ferraton, Éditions Messene, pp.55-57.

 

Cette page a été réalisée grâce aux documents qui nous ont été aimablement fournis par Hélène Salomé, fondatrice du Centre Culturel de Valprivas et amie de Carl de Nys avec qui elle a participé à de nombreux projets (concerts, enregistrements, recherches, etc.). Hélène nous a quitté le 5 juin et nous nous associons à la douleur de ses proches pour commémorer sa mémoire.

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